Texte à étudier
❉ Principe d’une unité :
Nous allons étudier un texte selon plusieurs angles. Ce texte est une traduction du premier chapitre de la ferme des animaux, de George Orwell, paru en anglais en 1945.
Voici le texte traduit de l'anglais sur lequel nous allons travailler.
La Ferme des Animaux
Chapitre I
Le propriétaire de la Ferme du Manoir, Mr. Jones, avait poussé [001] le verrou des poulaillers, mais il était [002] bien trop saoul pour s’être souvenu [003] de rabattre [004] les trappes. S’éclairant [005] de gauche et de droite avec sa lanterne, c’est en titubant [006] qu’il traversa [007] la cour. Il entreprit [008] de se déchausser [009] , donnant [010] du pied contre la porte de la cuisine, tira [011] au tonneau un dernier verre de bière et se hissa [012] dans le lit où était[013] Mrs. Jones déjà en train de ronfler [014] .
Dès que fut éteinte [015] la lumière de la chambre, ce fut [016] à travers les bâtiments de la ferme un bruissement d’ailes et bientôt tout un remue-ménage. Dans la journée, la rumeur s’était répandue [017] que Sage l’Ancien avait été visité [018], au cours de la nuit précédente, par un rêve étrange dont il désirait [019] entretenir [020] les autres animaux. Sage l’Ancien était [021] un cochon qui, en son jeune temps, avait été proclamé [022] lauréat de sa catégorie – il avait concouru [023] sous le nom de Beauté de Willingdon, mais pour tout le monde il était [024] Sage l’Ancien. Il avait été convenu[025] que tous les animaux se retrouveraient [026] dans la grange dès que Mr. Jones se serait éclipsé [027]. Et Sage l’Ancien était si profondément vénéré [028] que chacun était [029] prêt à prendre[030] sur son sommeil pour savoir [031] ce qu’il avait[032] à dire[033].
Lui-même avait déjà pris [034] place à l’une des extrémités de la grange, sur une sorte d’estrade (cette estrade était[035] son lit de paille éclairé [036] par une lanterne suspendue [037] à une poutre). Il avait [038] douze ans, et avec l’âge avait pris [039] de l’embonpoint, mais il en imposait [040] encore, et on lui trouvait [041] un air raisonnable, bienveillant même, malgré ses canines intactes. Bientôt les autres animaux se présentèrent [042], et ils se mirent [043] à l’aise, chacun suivant [044] les lois de son espèce. Ce furent [045] d’abord le chien Filou et les deux chiennes qui se nommaient [046] Fleur et Constance, et ensuite les cochons qui se vautrèrent [047] sur la paille, face à l’estrade. Les poules allèrent [048] se percher [049] sur des appuis de fenêtres et les pigeons sur les chevrons du toit. Vaches et moutons se placèrent [050] derrière les cochons, et là se prirent [051] à ruminer [052]. Puis deux chevaux de trait, Malabar et Douce, firent [053] leur entrée. Ils avancèrent [054] à petits pas précautionneux, posant [055] avec délicatesse leurs nobles sabots sur la paille, de peur qu’une petite bête ou l’autre s’y fût tapie[056]. Douce était [057] une superbe matrone entre deux âges qui, depuis la naissance de son quatrième poulain, n’avait plus retrouvé [058] la silhouette de son jeune temps.
Quant à Malabar : une énorme bête, forte comme n’importe quels deux chevaux. Une longue raie blanche lui tombait [059] jusqu’aux naseaux, ce qui lui donnait [060] un air un peu bêta ; et, de fait, Malabar n’était [061] pas génial. Néanmoins, chacun le respectait [062] parce qu’on pouvait [063] compter [064] sur lui et qu’il abattait [065] une besogne fantastique. Vinrent [066] encore Edmée, la chèvre blanche, et Benjamin, l’âne. Benjamin était [067] le plus vieil animal de la ferme et le plus acariâtre. Peu expansif, quand il s’exprimait [068] c’était [069] en général par boutades cyniques. Il déclarait [070], par exemple, que Dieu lui avait bien donné [071] une queue pour chasser les mouches, mais qu’il aurait de beaucoup préféré [072] n’avoir ni queue ni mouches. De tous les animaux de la ferme, il était [073] le seul à ne jamais rire [074].
Quand on lui demandait [075] pourquoi, il disait [076] qu’il n’y avait [077] pas de quoi rire[078]. Pourtant, sans vouloir [079] en convenir [080], il était [081] l’ami dévoué de Malabar. Ces deux-là passaient [082] d’habitude le dimanche ensemble, dans le petit enclos derrière le verger, et sans un mot broutaient [083] de compagnie.
À peine les deux chevaux s’étaient-ils étendus [084] sur la paille qu’une couvée de canetons, ayant perdu[085] leur mère, firent [086] irruption dans la grange, et tous ils piaillaient [087] de leur petite voix et s’égaillaient [088] çà et là, en quête du bon endroit où personne ne leur marcherait [089] dessus. Douce leur fit [090] un rempart de sa grande jambe, ils s’y blottirent [091] et s’endormirent [092] bientôt. À la dernière minute, une autre jument, répondant [093] au nom de Lubie (la jolie follette blanche que Mr. Jones attelle [094] à son cabriolet) se glissa [095] à l’intérieur de la grange en mâchonnant un sucre. Elle se plaça [096] sur le devant et fit [097] des mines avec sa crinière blanche, enrubannée de rouge. Enfin ce fut [098] la chatte. À sa façon habituelle, elle jeta [099] sur l’assemblée un regard circulaire, guignant [100] la bonne place chaude. Pour finir [101], elle se coula [102] entre Douce et Malabar. Sur quoi elle ronronna [103] de contentement, et du discours de Sage l’Ancien n’entendit [104] pas un traître mot.
Tous les animaux étaient [105] maintenant au rendez-vous – sauf Moïse, un corbeau apprivoisé [106] qui sommeillait [107] sur un perchoir, près de la porte de derrière – et les voyant [108] à l’aise et bien attentifs, Sage l’Ancien se racla [109] la gorge puis commença [110] en ces termes :
« Camarades, vous avez déjà entendu [111] parler [112] du rêve étrange qui m’est venu [113] la nuit dernière. Mais j’y reviendrai [114] tout à l’heure. J’ai [115] d’abord quelque chose d’autre à vous dire [116]. Je ne compte [117] pas, camarades, passer [118] encore de longs mois parmi vous. Mais avant de mourir [119], je voudrais m’acquitter [120] d’un devoir, car je désire [121] vous faire [122] profiter [123] de la sagesse qu’il m’a été donné [124] d’acquérir [125] . Au cours de ma longue existence, j’ai eu [126] , dans le calme de la porcherie, tout loisir de méditer [127] . Je crois [128] être[129] en mesure de l’affirmer [130] : j’ai [131] , sur la nature de la vie en ce monde, autant de lumières que tout autre animal. C’est [132] de quoi je désire [133] vous parler [134] .
« Quelle est [135] donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons [136] les choses en face : nous avons [137] une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nous est tout juste donné [138] de quoi survivre [139] , et ceux d’entre nous qui ont [140] la force voulue sont astreints [141] au travail jusqu’à ce qu’ils rendent [142] l’âme. Et dans l’instant que nous cessons [143] d’être utiles, voici qu’on nous égorge [144] avec une cruauté inqualifiable. Passée [145] notre première année sur cette terre, il n’y a [146] pas un seul animal qui entrevoie [147] ce que signifient [148] des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l’accable [149], ou la servitude, pas un animal qui soit [150] libre. Telle est [151] la simple vérité.
« Et doit [152] -il en être [153] tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est [154] -il donc si pauvre qu’il ne puisse [155] procurer[156] à ceux qui l’habitent [157] une vie digne et décente ? Non, camarades, mille fois non ! Fertile est [158] le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est [159] possible de nourrir [160] dans l’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent [161] ici. Cette ferme à elle seule pourra [162] pourvoir [163] aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, de centaine de moutons – tous vivant [164] dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est [165] que nous avons [166] le plus grand mal à imaginer [167] chose pareille. Mais puisque telle est [168] la triste réalité, pourquoi en sommes [169] -nous toujours à végéter [170] dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail, ou presque, est volé [171] par les humains. Camarades, là se trouve [172] la réponse à nos problèmes. Tout tient [173] en un mot : l’Homme. Car l’Homme est [174] notre seul véritable ennemi. Qu’on le supprime, [175] et voici extirpée [176] la racine du mal. Plus à trimer [177] sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !
« L’Homme est [178] la seule créature qui consomme [179] sans produire. Il ne donne [180] pas de lait, il ne pond [181] pas d’œufs, il est [182] trop débile pour pousser [183] la charrue, bien trop lent pour attraper [184] un lapin. Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue [185] les tâches entre eux, mais ne leur donne [186] en retour que la maigre pitance qui les maintient [187] en vie. Puis il garde [188] pour lui le surplus. Qui laboure [189] le sol : Nous ! Qui le féconde [190] ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait [191] que sa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de lait n’avez-vous pas produit [192] l’année dernière ? Et qu’est-il advenu [193] de ce lait qui vous aurait permis [194] d’élever [195] vos petits, de leur donner [196] force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté [197] et rassasié [198]. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus [199] cette année-ci ? Et combien de ces œufs avez-vous couvés [200]? Tous les autres ont été vendus [201] au marché, pour enrichir [202] Jones et ses gens ! Et toi, Douce, où sont [203] les quatre poulains que tu as portés [204], qui auraient été [205] la consolation de tes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu [206] à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras [207]! En échange de tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné [208]? De strictes rations de foin plus un box dans l’étable !
« Et même nos vies misérables s’éteignent [209] avant le terme. Quant à moi, je n’ ai [210] pas de hargne, étant [211] de ceux qui ont eu [212] de la chance. Me voici dans ma treizième année, j’ai eu [213] plus de quatre cents enfants. Telle est [214] la vie normale chez les cochons, mais à la fin aucun animal n’échappe [215] au couteau infâme. Vous autres, jeunes porcelets assis [216] là et qui m’écoutez [217], dans les douze mois chacun de vous, sur le point d’être exécuté [218], hurlera [219] d’atroces souffrances. Et à cette horreur et à cette fin, nous sommes tous astreints [220] – vaches et cochons, moutons et poules, et personne n’est exempté [221]. Les chevaux eux-mêmes et les chiens n’ont [222] pas un sort plus enviable. Toi, Malabar, le jour où tes muscles fameux n’auront [223] plus leur force ni leur emploi, Jones te vendra [224] à l’équarrisseur, et l’équarrisseur te tranchera [225] la gorge ; il fera [226] bouillir [227] tes restes à petit feu, et il en nourrira [228] la meute de ses chiens. Quant aux chiens eux-mêmes, une fois édentés et hors d’âge, Jones leur passe [229] une grosse pierre au cou et les noie [230] dans l’étang le plus proche.
« Camarades, est-ce que ce n’est [231] pas clair comme de l’eau de roche ? Tous les maux de notre vie sont dus [232] à l’Homme, notre tyran. Débarrassons-nous [233] de l’Homme, et nôtre sera [234] le produit de notre travail. C’est [235] presque du jour au lendemain que nous pourrions [236] devenir [237] libres et riches. À cette fin, que faut [238] -il ? Eh bien, travailler [239] de jour et de nuit, corps et âme, à renverser [240] la race des hommes. C’est [241] là mon message, camarades. Soulevons-nous [242] ! Quand aura [243] lieu le soulèvement, cela je l’ignore [244] : dans une semaine peut-être ou dans un siècle. Mais, aussi vrai que sous moi je sens [245] de la paille, tôt ou tard justice sera faite [246]. Ne perdez [247] pas de vue l’objectif, camarades, dans le temps compté [248] qui vous reste [249] à vivre [250]. Mais avant tout, faites part [251] de mes convictions à ceux qui viendront [252] après vous, afin que les générations à venir mènent [253] la lutte jusqu’à la victoire finale.
« Et souvenez-vous [254] -en, camarades : votre résolution ne doit [255] jamais se relâcher [256]. Nul argument ne vous fera [257] prendre [258] des vessies pour des lanternes. Ne prêtez [259] pas l’oreille à ceux selon qui l’Homme et les animaux ont [260] des intérêts communs, à croire [261] vraiment que de la prospérité de l’un dépend [262] celle des autres ? Ce ne sont [263] que des mensonges. L’Homme ne connaît [264] pas d’autres intérêts que les siens. Que donc prévalent [265], entre les animaux, au fil de la lutte, l’unité parfaite et la camaraderie sans faille. Tous les hommes sont [266] des ennemis. Les animaux entre eux sont [267] tous camarades. »
À ce moment-là, ce fut [268] un vacarme terrifiant. Alors que Sage l’Ancien terminait [269] sa péroraison révolutionnaire, on vit [270] quatre rats imposants, à l’improviste surgis [271] de leurs trous et se tenant [272] assis [273], à l’écoute. Les chiens les ayant aperçus [274], ces rats ne durent [275] le salut qu’à une prompte retraite vers leur tanière. Alors Sage l’Ancien leva [276] une patte auguste pour réclamer [277] le silence.
« Camarades, dit [278] -il, il y a une question à trancher [279] . Devons [280] -nous regarder [281] les créatures sauvages, telles que rats et lièvres, comme des alliées ou comme des ennemies ? Je vous propose [282] d’en décider [283]. Que les présents se prononcent [284] sur la motion suivante : Les rats sont [285] -ils nos camarades ? »
Derechef on vota [286], et à une écrasante majorité il fut décidé [287] que les rats seraient regardés [288] en camarades. Quatre voix seulement furent [289] d’un avis contraire : les trois chiens et la chatte (on le découvrit [290] plus tard, celle-ci avait voté [291] pour et contre). Sage l’Ancien reprit [292] :
« J’ai [293] peu à ajouter [294] . Je m’en tiendrai [295] à redire [296] que vous avez [297] à montrer[298] en toutes circonstances votre hostilité envers l’Homme et ses façons de faire [299] . L’ennemi est [300] tout deux-pattes, l’ami tout quatre-pattes ou tout volatile. Ne perdez [301] pas de vue non plus que la lutte elle-même ne doit [302] pas nous changer [303] à la ressemblance de l’ennemi. Même après l’avoir vaincu [304], gardons-nous [305] de ses vices. Jamais animal n’habitera [306] une maison, ne dormira [307] dans un lit, ne portera [308] de vêtements, ne touchera [309] à l’alcool ou au tabac, ni à l’argent, ni ne fera [310] négoce. Toutes les mœurs de l’Homme sont [311] de mauvaises mœurs. Mais surtout, jamais un animal n’en tyrannisera [312] un autre. Quand tous sont [313] frères, peu importe [314] le fort ou le faible, l’esprit profond ou simplet. Nul animal jamais ne tuera [315] un autre animal. Tous les animaux sont [316] égaux.
« Maintenant, camarades, je vais [317] vous dire [318] mon rêve de la nuit dernière. Je ne m’attarderai [319] pas à le décrire [320] vraiment. La terre m’est apparue [321] telle qu’une fois délivrée [322] de l’Homme, et cela m’a fait [323] me ressouvenir [324] d’une chose enfouie [325] au fin fond de la mémoire. Il y a [326] belle lurette, j’étais [327] encore cochon de lait, ma mère et les autres truies chantaient [328] souvent une chanson dont elles ne savaient [329] que l’air et les trois premiers mots. Or, dans mon rêve de la nuit dernière, cette chanson m’est revenue [330] avec toutes les paroles – des paroles, j’en suis [331] sûr, que jadis ont dû [332] chanter les animaux, avant qu’elles se perdent [333] dans la nuit des temps. Mais maintenant, camarades, je vais [334] la chanter [335] pour vous. Je suis [336] d’un âge avancé, certes, et ma voix est [337] rauque, mais quand vous aurez saisi [338] l’air, vous vous y retrouverez [339] mieux que moi. Le titre, c’est [340] Bêtes d’Angleterre. »
Sage l’Ancien se racla [341] la gorge et se mit [342] à chanter [343]. Sa voix était [344] rauque, ainsi qu’il avait dit [345], mais il se tira [346] bien d’affaire. L’air tenait [347] d’Amour toujours et de La Cucaracha, et on en peut [348] dire [349] qu’il était [350] plein de feu et d’entrain. Voici les paroles de la chanson :
Bêtes d’Angleterre et d’Irlande,
Animaux de tous les pays,
Prêtez [351] l’oreille à l’espérance
Un âge d’or vous est promis [352].
L’homme tyran exproprié [353],
Nos champs connaîtront [354] l’abondance,
De nous seuls ils seront foulés [355],
Le jour vient [356] de la délivrance.
Plus d’anneaux qui pendent [357] au nez,
Plus de harnais sur nos échines,
Les fouets cruels sont retombés [358]
Éperons et morts sont [359] en ruine.
Des fortunes mieux qu’en nos rêves,
D’orge et de blé, de foin, oui da,
De trèfle, de pois et de raves
Seront [360] à vous de ce jour-là.
Ô comme brillent [361] tous nos champs,
Comme est [362] plus pure l’eau d’ici,
Plus doux aussi souffle [363] le vent
Du jour que l’on est affranchi [364] .
Vaches, chevaux, oies et dindons,
Bien que l’on meure [365] avant le temps,
Ce jour-là préparez [366] -le donc,
Tout être libre absolument.
Bêtes d’Angleterre et d’Irlande,
Animaux de tous les pays,
Prêtez [367] l’oreille à l’espérance
Un âge d’or vous est promis [368] .
D’avoir chanté [369] un chant pareil suscita [370] chez les animaux l’émotion, la fièvre et la frénésie. Sage l’Ancien n’avait pas entonné [371] le dernier couplet que tous s’étaient mis [372] à l’unisson. Même les plus bouchés des animaux avaient attrapé [373] l’air et jusqu’à des bribes de paroles. Les plus délurés, tels que cochons et chiens, apprirent [374] le tout par cœur en quelques minutes. Et, après quelques répétitions improvisées [375] la ferme entière retentit [376] d’accents martiaux, qui étaient [377] beuglements des vaches, aboiements des chiens, bêlements des moutons, hennissements des chevaux, couac-couac des canards. Bêtes d’Angleterre, animaux de tous les pays : c’est [378] ce qu’ils chantaient [379] en chœur à leurs différentes façons, et d’un tel enthousiasme qu’ils s’y reprirent [380] cinq fois de suite et d’un bout à l’autre. Si rien n’était venu [381] arrêter [382] leur élan, ils se seraient exercés [383] toute la nuit.
Malheureusement, Mr. Jones, réveillé [384] par le tapage, sauta [385] en bas du lit, persuadé [386] qu’un renard avait fait irruption [387] dans la cour. Il se saisit [388] de la carabine, qu’il gardait [389] toujours dans un coin de la chambre à coucher, et dans les ténèbres déchargea [390] une solide volée de plomb. Celle-ci se logea [391] dans le mur de la grange, de sorte que la réunion des animaux prit fin [392] dans la confusion. Chacun regagna [393] son habitat en grande hâte : les quatre pattes leurs lits de paille, les volatiles leurs perchoirs. L’instant d’après, toutes les créatures de la ferme sombraient [394] dans le sommeil.