Enseigner la grammaire n’est pas chose facile, surtout lorsqu’on est professeur de français. En effet, la matière est réputée ardue, comportant plus d’exceptions que de règles, et le seul fait de l’évoquer plonge l’auditoire dans un profond ennui.
Or, la langue française est un système organisé, et plus on étudie ce système, et plus on se rend compte de sa cohérence. Le français est une langue bien organisée, bénéficiant d’une logique précise. Mais pour appréhender ce système, il faut « en savoir plus » que le commun des mortels.
Ainsi, il est impossible d’enseigner la langue française si l’on ne possède pas des connaissances fondées en phonétique, aussi bien sur les phonèmes que sur l’intonation du français. Les déterminants, les pronoms personnels, les conjugaisons ne s’expliquent de façon logique que si l’on a recours à l’étude des phonèmes et du système intonatif. La construction de la phrase s’explique aussi en grande partie par l’intonation. En effet, la langue, comme son nom l’indique, est essentiellement orale. D’ailleurs, le jeune enfant parle assez bien la langue avant même d’apprendre à lire et à écrire, et bon nombre de nos concitoyens utilisent beaucoup plus le téléphone que le stylo. Et lorsqu’ils envoient des textos, c’est dans une écriture phonétique : « s ke tu c ke je t’m, twa ? »
Retenons donc que nous ne pourrons pas faire l’impasse sur la phonétique.
Le second problème qui se pose est de savoir par où commencer.
Lorsque l’on enseigne le français au collège ou au lycée, on est le plus souvent tributaire des manuels utilisés. Ceux-ci se fondent le plus souvent sur l’apprentissage d’actes langagiers, et les problèmes grammaticaux apparaissent rarement en bloc. Le plus souvent, ils sont disséminés sur plusieurs unités, et il faut attendre plusieurs séances avant de pouvoir avoir une vision d’ensemble.
Dans ce cas, il sera de la responsabilité de l’enseignant de présenter dès que possible le problème en tant que système, afin que les apprenants voient comment fonctionne le système. Ainsi, le fonctionnement de l’article (défini / indéfini, dénombrable / non dénombrable, affirmative / négative), dont l’apprentissage s’étendra sur plusieurs semaines, nécessitera de l’enseignant une pause dans l’apprentissage pour montrer comment ces différents éléments se partagent l’utilisation de l’article. Il sera alors nécessaire de proposer une batterie d’exercices, doublée de tests de contrôle, pour que l’apprenant comprenne bien le fonctionnement du système. En effet, la présentation en système montre bien les conséquences d’un mauvais emploi, puisque le système n’est plus assuré.
L’emploi des déterminants, le couple concurrent adverbe / adjectif, la concordance des temps, l’emploi concurrent de l’imparfait et du passé composé (du passé simple à l’écrit), l’emploi des conjonctions, leur remplacement par des compléments sans verbe conjugué sont de bons exemples de problèmes mettant en jeu un système. A quoi bon enseigner l’imparfait, puis , plus tard, le passé composé alors que ces deux temps se partagent le discours, et qu’il est impossible de n’en employer qu’un, sans se servir de l’autre.
Si l’on révise la grammaire, par exemple, avant le baccalauréat, ou encore à l’université, où les étudiants de français ont déjà des connaissances, on aura intérêt à suivre un autre cheminement :
Vous retrouverez cet ambitieux programme dans notre Grammaire Cognitive du Français à l’usage des enseignants, des étudiants et des élèves de lycée.
On peut très bien suivre l’ordre du plan, ce qui vous garantira, lorsque vous aborderez un chapitre quelconque, d’en posséder les prérequis.
D’abord, il ne faut pas noyer l’apprenant dans un système dont l’ampleur le dépassera.
Il faudra employer la méthode de la difficulté fractionnée : présenter le problème par étapes, dans une progression allant du plus simple au plus compliqué, et bien s’assurer que les apprenants ont compris avant de passer à la suite. Il faut construire petit à petit.
Par exemple, lorsque l’on apprendra l’accord du participe, on commencera modestement par l’accord avec l’auxiliaire être, pour lequel le participe se comporte comme un adjectif. Puis, on passera à l’auxiliaire avoir, sans c.o.d., puis avec un c.o.d. placé après, avant de l’employer avec un c.o.d. placé avant. On alternera ensuite les exemples. On gardera l’accord avec un participe suivi d’un infinitif, celui du verbe pronominal, et celui du verbe pronominal suivi d’un infinitif pour plus tard.
L’apprenant aura tendance à mieux retenir ce qu’il a lui-même découvert. On peut donc, si le niveau intellectuel des apprenants le permet, leur faire découvrir une règle par leurs propres moyens. Il suffit pour cela de les organiser en groupes de deux à quatre, et de leur distribuer des exemples couvrant la totalité de l’étape prévue. Par exemple, on distribuera les exemples suivants :
Etape 1. Elle est venue, ils sont venus, elles sont venues, il est venu.
On en déduira les règles de l’accord de l’auxiliaire conjugué avec « être ».
Etape 2. Il a mangé, elle a mangé, elles ont mangé, ils ont mangé.
Etape 3. Il a mangé la pomme. Elle a lu les livres.
Etape 4. Le riz, elle l’a mangé hier. Les pommes, ils les ont mangées ce matin. La pomme, il l’a mangée à 4h. Mes livres, elle les a lus en deux jours.
Bien entendu, il faudra s’être assuré auparavant que les apprenants savent bien reconnaître les formes d’avoir et d’être, qu’ils savent ce qu’est un participe passé ou et ce qu’est un c.o.d.
L’enseignant ira de groupe en groupe pour constater l’état d’avancement des recherches et suggérer une piste de recherche si besoin est.
Les élèves doivent pouvoir consigner leurs découvertes et leurs résultats par écrit. Fournissez-leur une feuille de route, sur laquelle figurent les exemples, et où des zones sont aménagées pour quils puissent y inscrire leurs notes.
N’hésitez pas à faire expliquer une règle par un groupe d’apprenants aux autres, à confronter des recherches en faisant s’affronter deux groupes.
N’hésitez pas, si vous en avez la possibilité, à publier chaque fois une des feuilles de route sur un site Internet. La classe peut alors mettre au point sa propre grammaire, avec des règles et des exemples, consultable par tous. Rien n’est moins valorisant que le travail dont personne ne prend note, ou qui finit dans une corbeille, dans le fond d’un sac ou dans un dossier. Le travail visible par tous est non seulement valorisant, mais peut inciter les apprenants à travailler avec soin. Et il n’est pas interdit, lorsque cela peut être utile, d’agrémenter la grammaire de dessins, photos ou illustrations.
N’hésitez pas à pratiquer la linguistique comparative. Faites réfléchir les apprenants sur les diverses façon d’appréhender la réalité selon la langue utilisée. Montrez-leur que le point de vue peut varier d’une langue à l’autre. Par exemple, les Français sont obnubilés par le temps : ils veulent savoir si une action est encore en route (imparfait) quand une autre commence, ou si elle est déjà terminée (passé composé). Les Allemands, eux, sont obnubilés par l’espace : les objets sont en position verticale (stehen) ou horizontale (liegen), on se déplace d’un lieu à un autre (in + accusatif) ou dans un même lieu (in + datif). Ainsi, alors qu’un problème ne nous intéresse pas dans notre langue maternelle, il devient primordial dans une autre.
Comme dans le cas du verre à moitié vide, et donc, à moitié plein, alors que l’Allemand lutte pour la vie, qu’il plane en danger pour sa vie, ou qu’il s’ôte la vie, le Français lutte contre la mort, est en danger de mort, ou se donne la mort. L’un est encore accroché à la vie, tandis que l’autre se voit déjà mort. D’ailleurs, en peinture, l’Allemand admire une « vie tranquille », alors que le Français y voit un e « nature morte ». Profitez de l’enseignement de la grammaire pour leur apprendre ces expressions dans des exemples. Ainsi, vous ferez d’une pierre deux coups (vous tuerez 2 mouches avec une seule tapette si vous êtes Allemand).
Les expressions employées dans le quotidien peuvent aussi pimenter l’enseignement. Mes étudiants allemands adoraient les expressions imagées telles que « C’est comme si je pissais dans un violon ». Outre le fait qu’elles sont employées et rarement apprises dans les écoles à l’étranger, ces expressions témoignent, modestement certes mais sûrement, de la vision de ceux qui les emploient.
La matière étant un peu sèche, il faut, pour qu’elle passe mieux, qu’il y ait un peu d’amusement. N’hésitez pas à employer des exemples amusants, de faire des exercices fondés sur des petites histoires humoristiques, ou qui sortent de l’ordinaire. Un peu d’outrance, comme l’histoire des deux amants assassins, ou de M. Padbol, passe très bien.
Vos apprenants ne se presseront pas dans vos cours comme ils se précipiteraient pour voir un film avec Louis de Funès, il ne faut pas rêver, mais vous verrez que vos apprenants verront la grammaire avec d’autres yeux.
Le module eGrammaire / Grammaire participative est en pleine révision.
++ © Christian Meunier ++