Ce système phonique, qui est propre au français, va déclencher chez ceux qui nous font le plaisir d’apprendre notre langue des difficultés nombreuses et variées. Mais ces apprenants ont la chance de vous avoir comme enseignante, vous qui lisez cet ouvrage et ne tarderez pas à en appliquer les recettes.
Chacun apprend sa langue maternelle de façon pragmatique, au début, et n’en apprendra les règles que plus tard, à l’école primaire et au collège. La pensée se forme avec la langue, et la langue avec la pensée. Ainsi, chacun est marqué, dans sa façon d’appréhender son environnement, par sa langue maternelle.
Soulignons que le jeune enfant passe énormément de temps à apprendre sa langue maternelle, qui s’apprend à tout moment de sa vie, qu’il joue, qu’il parle avec ses parents ou ses amis, qu’il se dispute, ou qu’il regarde la télévision. C’est pourquoi il est illusoire de penser que l’on puisse apprendre une langue seconde comme la langue maternelle.
Lorsque l’on arrive au moment d’apprendre une langue seconde, les choses vont changer du tout au tout. En effet, tout est analysé en passant par le crible de la langue maternelle, qui est, pour ainsi dire, une passoire avec des trous, un filtre qui s’est formé par l’apprentissage de la langue maternelle, qui, lorsqu’elle s’est installée dans le cerveau, n’a rencontré aucune concurrence, aucune résistance, puisque toute la place était disponible.
L’apprenant se trouve un peu dans la situation de l’enfant qui dispose d’un cube sur les faces duquel ont été pratiqués un certain nombre de trous de formes diverses : rond, carré, étoile, croi,ssant de lune etc. Le jeu consiste à faire rentrer des objets de formes diverses dans ces trous. Quelquefois, l’enfant trouve le trou adéquat : le rond ne pose pas trop de problème. Mais essayez de faire rentrer un objet en étoile dans un trou en croissant de lune !
Eh bien c’est ce que nous faisons lorsque nous apprenons une langue étrangère. Pensez au pauvre Italien qui se trouve confronté, en français, à trois « e » différents : [ ə ] [ ø ] et [œ], alors qu’ il n’en existe aucun dans sa langue. Le son le plus proche est le [ e ]. Cela risque de donner, si l’enseignant n’est pas attentif : [ jevjendenapoli ] au lieu de [ ʒəvjɛ̃dənapl ], car en plus, il y a un [ʒ] inconnu et une vilaine voyelle nasale tout à fait imprononçable.
Mais le problème est bien sûr le même lorsque nous, Français, nous apprenons l’anglais ou l’allemand. Qui n’a pas sué sur le fameux « th », comme dans « the » ?
Ce son qui demande que l’on place la pointe de la langue entre les dents, ce qui ne se fait pas en français, se trouve à mi-chemin entre [z], pour lequel on utilise la pointe de la langue, mais que l’on met dans la région des alvéoles, donc, nettement derrière les dents, que l’on n’utilise donc pas, et [v], pour lequel on utilise les dents du haut, contre la lèvre du bas, et sans la langue.
Aucune des deux solutions n’est la bonne, car on n’utilise que la moitié des organes nécessaires. Certains diront [z], d’autres [v], sans état d’âme, vraisemblablement même sans remarquer qu’ils font une faute. Et même si on leur répète plusieurs fois la bonne solution, ils reproduiront leur erreur puisque, n’entendant pas le [ð], ne soupçonnant même pas son existence, ils n’ont aucune raison de dévier de leur chemin.
Au lieu d’accepter ce bricolage, vous devez aborder le problème en professionnelle, c’est-à-dire ruser avec le crible, forcer votre apprenant à créer un nouveau trou, mais un trou adéquat. Il faut donc abandonner la fameuse méthode du perroquet, que j’ai très bien connue en tant qu’élève de 6e, justement à propos du th anglais, l’enseignante répétant inlassablement [ð], mais en s’énervant de plus en plus, et l’élève, debout, bredouillant sans relâche [z], se liquéfiant à vue d’œil, se demandant pourquoi on le persécutait ainsi, et finissant par éclater en sanglots.
Pourquoi ne lui a-t-elle pas dit d’emblée que ce phonème n’existait pas en français, et ne lui a-t-elle pas expliqué qu’il devait mettre la pointe de la langue entre les dents, lui évitant ainsi un traumatisme, et réglant le problème avec un minimum d’effort ? Simplement parce qu’elle n’avait aucune notion de phonétique corrective.
Nous allons d’abord voir à quels problèmes on peut raisonnablement s’attendre. Cela ne veut pas dire qu’on les rencontrera tous, car tout dépend de la langue maternelle des apprenants, et aussi des problèmes personnels à certains, mais disons que certaines difficultés reviennent plus souvent que d’autres, et qu’elles méritent plus que d’autres que l’on s’en occupe.
Le livre Enseigner la Valence des verbes vient de sortir. il contient le texte complet de la grammaire de ce site et les activités et exercices pour les apprenants.
++ © Christian Meunier ++